Selfies partout
24 août 2016 | Simon Tarsier | Ailleurs
Voyager, c’est aiguiser sa présence au monde. Y poser son regard, y inscrire son corps, y suspendre son être. Tenter d’y trouver un chemin, ou du moins une sente. Se laisser surprendre. Se perdre sans doute. Se perdre en route. Envisager que ce déplacement hors des habitudes puisse créer aussi un mouvement intérieur, infime peut-être, mais qui nous trouvera autre à la fin du voyage.
Portrait de moi devant l’église San Julián y Santa Basilisa à Isla. Portrait de moi à la perche devant un étrange bâtiment conique à Isla playa. Portrait de moi devant La Cagiga à Polanco. Portrait de moi dans le parc de San Francisco à Oviedo. Portrait de moi sur une aire d’autoroute de l’A8. Portrait de moi devant des cabines de plage à Luarca. Portrait de moi à la perche devant l’entrée de la cathédrale de Saint-Jacques-de-Compostelle. Portrait de moi devant le vieux pont à Ponte de Lima. Portrait de moi devant une assiette de caracoles et un demi de Sagres à Estorãos. Portrait de moi devant un eucalyptus à Roubão. Portrait de moi devant les grandes orgues de la Cathédrale de Braga. Portrait de moi à la perche devant les premières marches du Bom Jesus do Monte. Portrait de moi devant un azulejo de la gare de Pinhão. Portrait de moi devant un mariage à Provesende. Portrait de moi avec une Super Bock à la main à Lamego. Portrait de moi devant un panneau de signalisation à Vidago. Portrait de moi devant les thermes fermés le dimanche de Chavez. Portrait de moi devant ma Logan Dacia rouge à l’entrée de Bolideira. Portrait de moi devant une photographie de Georges Dussaud au Centro de Fotografia de Bragança. Portrait de moi devant un arrêt de bus à Salgueires. Portrait de moi au bord d’une route vers Landedo. Portrait de moi devant le lavoir de Montouto. Portrait de moi devant une porte intituée ‘Toco do Manel’ à Moimenta. Portrait de moi devant l’entrée du cimetière à Cova de Lua. Portrait de moi devant la borne 366/13 au bord de la route vers Mofreita. Portrait de moi devant une habitation à moitié écroulée portant l’inscription « Vende-se / Contactar Humberio Vaz » à França…
Nous ne portons plus notre regard que sur nous-même et le monde n’est plus. Nous sommes au centre d’un retour du mème sans mouvement possible. Figés devant des décors qui défilent sans plus de continuité. Il n’y a plus de chemin – plus bouger – notre horizon est défini par la longueur de notre bras, éventuellement prolongé d’une perche. Inchangés à la fin du voyage nous n’aurons rien vu mais nous nous serons collectionnés à l’infini.
Jusqu’à disparaître.